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En passant par la Lorraine
« Tu prends la première à droite,
(Me conseille le premier), c’te p’tite rouelle étroite.
Elle passe par les cités, c’est un peu débraulé,
Mais c’est un raccourci, t’éviteras une chaurée.»
En effet, la ruelle ne paye pas de mine
Bien des gueules noires, autrefois, ont dû y crier famine…
« Si tu prends la première à gauche,
Prends garde qu’une bagnole ne te fauche,
(M’avertit le second). Y roulent comme des frâlés
L’ sam’di soir, quand y vont rahouer et cheûler ;
La route va déraper, chlinguer, trisser,
Avec c’te pluie, t’arriveras toute machurée !
- Et même si, sapré Dieu, sans une beûgne tu t’en tires
(Renchérit, rassurant, le troisième), reste pas là à ressépir !
Crois-nous, on n’est pas des chiffes molles,
Mais suivre la nationale, bon sang, faudrait êt’ folle !
- Et si je prends tout droit ?
- Traverseras, ma foi, une campagne fort belle :
Vaches, grands prés fleuris, vergers de mirabelles
(M’informe le quatrième) ; et si t’as une beugnate,
Pourras t’en rapporter bonne provision dans tes pénates.
- Attention, au passage, à la maison de la zozotte,
(M’avertit la cinquième) : elle débloque, elle yoyotte !
Si jamais elle t’arrête pour tailler une bavette
Tu te rendras vite compte qu’elle n’a plus toute sa tête.
- Bigre ! Et cette dame… est-elle dangereuse ?
- Que non, pardi ! Et pas du tout nareuse :
Elle traîne toute la journée en fichu et en chlappes
Mange parfois ses cnèpes sans plat, à même la nappe
Passe son temps à gauiller et à crafouiller
Mais est toujours ravie de pouvoir quarroyer.
Pour peu que tu la combles d’une bonne parlotte
Elle te fera goûter sa gnôle de bergamote
Essaye-la sans chigner, vas-y, elle est fameuse
Et la brave plem-plem en sera tout heureuse !
- Et où se loge, dites-moi, tant de simplicité franche ?
- Facile à reconnaître : sa maison n’a même pas de clenche !... »
Je commençais à me demander
Dans quel trou reculé je m’étais fourvoyée
Et, bien que peu sujette aux affres de la trouille
Si j’arriverais entière à cette lorraine chouille
A laquelle, dans un élan d’ivresse inconsidéré
Je m’étais si étourdiment laissée inviter…
Passant devant le gîte de la « zozotte évaltonnée »,
Elle accourt, en effet, me hèle pour me proposer
Non pas un verre de gnôle, mais une part de quiche…
« Excusez, mademoiselle, la pâte est un peu fiâche,
Mais je n’y suis pour rien, c’est mon four qui me lâche !
- Non, merci madame, vraiment, c’est très gentil à vous… »
(Je préfère, plutôt… prendre mes jambes à mon cou !)
Arrivée au carrefour… trou de mémoire, tête vide !
Emberlificotée dans les instructions de mes différents guides
Je ne sais plus où je vais, d’où je viens, où aller… ouille !
Cette fois, c’est assuré, je n’atteindrai jamais cette chouille.
Qu’importe !... Je m’en retourne, des mots nouveaux plein ma besace
(Euh… C’est par où déjà ? Je me sens un peu schlass…)
Au diable les consignes, les guides, les itinéraires,
Suis-je en train d’aller en avant, en rond, en arrière ?...
Si je n’ai pas choisi le chemin le plus court
Ni le plus logique, ni le plus direct, ni le plus droit,
J’ai suivi, ma foi, mon petit bonhomme de chemin à moi
Tout ce que j’ai appris, rencontré, vu, en valait le détour…
Aussi, dorénavant, je ne suivrai plus que mon cœur
Encore une fois, je le constate, cette voie est la meilleure !
Petit lexique complémentaire à l’usage des non-autochtones :
Bergamote : spécialité lorraine (moins connue que la quiche !)
Beugnate : récipient, gamelle
Beûgne : bosse
Chaurée : suée
Cheûler : boire, s’aviner
Chiffe molle : poule mouillée
Chigner : pleurnicher
Chlappes : pantoufles, savates
Chlinguer : puer
Chouille : fête (en général bien arrosée)
Clenche : poignée de porte
Cnèpes : plat à base de boules de pâtes et de croûtons revenus au beurre
Crafouiller, gauiller : s’affairer, s’occuper à de menues tâches
Débraulé : défait, écroulé
Evaltonné : étourdi, fantasque
Fiâche : ramolli (qui se débraule !)
Frâlé : fou
Gueule noire : mineur de fond
Machuré : sale, maculé
Nareuse : maniaque
Plem-plem : simple d’esprit
Quarroyer : commérer, papoter
Rahouer : draguer
Ressepir : rassir, sécher
Sapré : sacré
Schlass : fatigué, épuisé
Tailler une bavette : discuter
Trisser : éclabousser
Yoyotter : perdre la tête
Zozotte : fofolle
Je ne sais pas si après ce récit, vous aurez franchement envie de visiter la riante contrée
dont je suis originaire... mais j'espère qu'en tout cas, vous aurez bien ri !
Je dédie ce texte à mes grands-parents et et à mes arrière-grands-parents paternels,
sans qui ce joyeux héritage ne serait pas arrivé jusqu'à moi... ni jusqu'à vous !
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Commentaires
1MahinaLundi 3 Mars 2008 à 08:26Un grand sourire à cette lecture ( et j'ai quasi tout compris avant d'arriver au dico!!), comme quoi, après le ch'ti ( très joli film en passant), toutes les langues "régionales" sont savoureuses à entendre! mais certaines sont plus difficile à comprendre, le patois du haut-beaujolais ( d'où mon mari est originaire) je comprends un mot sur tois, et ce'st vite dit!! l'alsacien, de mon papa, je n'en connais que 3 mots ( honte à moi) . En tout cas, un bien bel hommage à ta région... un hommage que je ne saurai faire, ne m'étant jamais senti d'un "quelque part".... Bonne journée tit colibriRépondreRassure-toi Mahina, quand nous allons en Bresse, j'ai moi aussi bien du mal à suivre les conversations en patois et bien que germaniste confirmée, je suis aussi démunie que toi en Alsace. Moi non plus je ne me suis jamais sentie d'un "quelque part", - à part, étonnamment, de la Bretagne, qui est aux zantipodes de mon Est natal et où je n'ai aucune racine "biologique" connue?... Mais si j'en crois le texte de Brassens sur "les imbéciles heureux qui sont nés quelque part", ne pas se sentir d'attaches à un territoire n'est pas forcément une tare !... Et puis, nous sommes tous du même pays : la Terre...tiens je te réponds tout de suite... sourire... quand j'arrive à Sarrance, en vallée d'Aspe, j'ai l'impression d'arriver "chez moi" comme toi en Bretagne, et pourtant, je n'ai connu ce petit coin de France qu'à l'âge de 20 ans... Et oui...nous sommes tous du même pays: la Terre! Si tous les hommes pouvaient se mettre cette évidence dans un creux de leur mémoire ....Bonjour Ptitsa, non aucun moment de libre pour être déjà allé à la découverte des Petits Oignons. Ce ne sera que partie remise alors. J'ai hâte de rentrer chez nous et d'avoir accès à ma messagerie pour récupérer ton billet. Là je le découvre, il est local, génial, amical... Waouhhhh ! J'espère que ta semaine commence bien. Je t'embrasse, je te dis aussi à très bientôt. MarcEn réponse à ton commentaire teinté de déception à mon article de ce jour et à la citation : Rien,quand on vit dedans n'est jamais poétique ==> je rappelle qu'en langue française deux négations s'annulent, il faut donc comprendre que TOUT est TOUJOURS poétique ("Rien" annule "Jamais");-)Beaucoup de ces mots, font partie du patrimoine wallon également Bisous petit colibri Amitiés, FloLe billet est déjà dans ta boîte ! Tu n'as plus qu'à le récupérer... Contente qu'il t'ait plu !Je reviens de chez toi où je t'ai présenté mes plus plates zexcuses pour ce non-sens involontaire... à quarroyer en lorrain, j'en oublie mon français !! ; )Et comme mon arrière-grand-mère était belge... Ca nous fait un patrimoine commun de plus, Flo ! ; )Je suis lorrain au départ : 55, des études (je devrais dire du repos) dans le 54 pendant un an et deux années dans le 57. Je ne connais pas tous les mots, mais, un certain nombre quand même. Nous, c'était même cliche en patois au lieu de clenche :) Bonne soirée Ptitsa ;)C'est ça le parler lorain,je ne sais que 2 mots soit chigner et clenche.Je passerai pas l'examen.Ton histoire est bien bonne avec ce parler.Tu es bonne d'avoir écrit ce texte. tant mieux si mes histoires t'ont fait rire mais je n,aimais pas le mot tabarnak par exemple car je n'aime pas les sacres. Bonne soirée ptitsa et A+... que tous les Lorrains connaissent, bien sûr ! C'est pourquoi j'en ai fait mon titre...Tu n'aurais peut-être pas l'examen, mais tu es drôlement fortiche ! Passé un rayon d'une centaine de km autour de ma région, plus personne ne comprend le mot "clenche"... or toi, tu vis bien plus loin !!!Bonsoir ami d'outre Moselle, BIen entendu que vos bords de Moselle ont du charme aussi. Pas assez pour me faire oublier mes bords de baie de la Moselle... Mais je sais voir toutes les beautés de la Moselle même trop privé de lagon et de plages paradisiaques. Waouhhh : toi tu connais ERQUY, c'est génial. T'es une chanceuse... Et le GR20 en Corse, tu connais aussi ? Bises et bonne nuit. MarcNe vous en étonnez point Madame d'être une Invitée de MarC. Ce sont vos mots et votre talent comme votre gentillesse qui vous ont donné les clefs de mon blog. Je m'en félicite et je vous ouvrirai mes modestes colonnes dès que vous me ferez l'honneur de m'en proposer une sublime raison. Je vous en souhaite des centaines. Je vous embrasse, je vous souhaite une très douce nuit. MarcC'est bien aux bords de la Moselle messine que je pensais en t'écrivant... je les ai faits bien souvent à pied entre Metz et Ars, quelquefois aussi à vélo. Aux "lagons et plages paradisiaques", ma peau claire préfère les climats tempérés, les lumières douces comme celles de la Bretagne. C'est pourquoi je connais Erquy (GR 34, de mémoire ?), mais rien de la Corse...Hiiiiiiiiiiiiiiiiiii... Merci Marc ! Après un tel couplet, heureusement que mon mari n'est pas un Corse jaloux ! J'aurais toutes les raisons de m'inquiéter. Bone nuit à toi aussi. Je devrais être au lit depuis longtemps si j'étais une femme raisonnable et une mère responsable...! ; )Bonjour! En passant par ton blog, je me suis émerveillée de tant de richesse. J'ai eu envie d'écrire quelque chose sur une rue qu'on doit prendre à droite... J'ai commencé mon texte et je pensais en avoir pour une heure. J'y ai passé la soirée d'hier et toute la nuit, le corrigeant toutes les heures. Je n'ai donc pas fait mes miniatures et je vais dormir...J'ai pas fait grand chose mais je me sens bien. Ca faisait longtemps.Merci pour ta gentillesse.J'ai déjà lu plusieurs de ces textes écrits sur consigne... tous différents ! J'aime bien ce que le tien m'apprend !Tu as rempli exactement la consigne... tu as pris la 1e à droite et c'est devenu tout un itinéraire... à l'intérieur de toi !A ton service pour des leçons de lorrain supplémentaires, Quichottine ! Je te ferai un prix d'amie... ; )Quelle chouette balade à tes côtés je viens de parcourir! BisesHeureuse d'avoir une amie de plume Lorraine. Le monde est vraiment tout petit. Tu as du bien t'amuser pour écrire ce texte, je te tire mon chapeau. En tout cas j'ai bien ri. En plus j'ai appris plein de mots nouveaux. Bisous et bonne journée.
Ces mots ne sont donc pas arrivés jusqu'en Meuse ? Peut-être saurais-tu m'en aprrendre d'autres ? ;)J ai adoré ton récit. Effectivement il vaut mieux ajouter un lexique pour les gens qui ne sont pas de chez nous, sinon ils ne doivent pas comprendre grand chose.
Bonne soirée
PoutouxxxJe suppose que c'est pareil pour toutes les langues régionales... moi, si on me parle alsacien, breton ou provençal, je ne comprends pas grand-chose ! Mais c'est vrai que ces parlers ont tant de saveur que je trouve qu'il est dommage de les laisser (se) perdre... ;)Ah, le drame de la Lorrainitude incomprise dès qu'elle s'exile de son territoire !! ...
Je pourrais t'en donner tant d'autres exemples... Qui comprend quand tu lui dis "Appuie sur la clenche" ?... Et la tête de cette boulangère parisienne à qui j'ai dit un jour :
"Je voudrais un schneck, s'il vous plaît !
-Un QUOI ??!
- Ben... un schneck... un escargot, quoi!
-Ah, un "pain aux raisiiiiiiins" !!!
... j'en ris encore !
Je vis avec un non-Lorrain et je peux te dire que ce genre de situation ahurissante, je l'expérimente régulièrement... dans les deux sens, d'ailleurs, car il a son patois aussi !!
Bé, euuuuh... toute Lorraine que je suis, je ne connais pas la chanlate. Keksédonc ??Merci pour la précision ! J'ajoute ce nouveau mot à mon vocabulaire de Lorraine non meusienne. ;)
Bonsoir "Ptitsa"
Quelle imagination ....j'en reste béat (d'admiration évidemment) heu non pas "béat" cela fait un peu niais ....scotché non plus je n'aime pas l'anglais ...statufié serait pompeux ....disons "admiratif" oui cela me semble correct ..Je connaissais la 'plume" facile de Philippe et maintenant je découvre la votre ..
je suis riche de mots Toute mes félicitations pour ce texte et le lexique bien utile Amicalement JPMerci pour cette visite du terroir lorrain en dialecte local haut en couleur : le lexique est une bonne idée.. Je souscris pleinement à ta conclusion : le chemin de notre coeur est la voie la meilleure...
Je t'embrasse - MV.J'accepte "admiratif", JP, cela suffira! A chacun ses talents... Je serais, pour ma part, incapable de rivaliser avec le vôtre en matière de traitement des images !
Si vous avez envie de lire d'autres textes de ma plume, ils se trouvent, pour la plupart, dans cette allée du jardin ("Graines de mes plates-bandes", colonne de droite) :
http://graines-d-esperance.over-blog.com/categorie-10210110.html
La prochaine fois, vous me laisserez un commentaire avec un mot bien de chez vous ?...38PaulineJeudi 20 Novembre 2014 à 09:46Lorraine de pure souche et peut être même pire que lorraine car meusienne... je suis juste emballée par ce texte qui est tout simplement formidable et si facilement compréhensible pour des gens comme moi alors qu'il n'a aucun sens pour d'autres. En même temps, ai-je du mérite puisque je baigne dedans depuis maintenant 21ans...?
Il met en valeur tellement de mots impossibles à traduire tel que "narreux" allez dire à n'importe qui en France "Tu es narreux?", il passe par toutes les expressions, toutes les couleurs pour finalement répondre "Ca veut dire quoi?" Et là, c'est le drame, parce que c'est tout simplement intraduisible...
Juste une chose à dire, vous êtes formidable, continuez!
Amicalement
Pauline39PaulineJeudi 20 Novembre 2014 à 09:46Oui c'est vrai que le Lorrain quand il s'exile rencontre d'assez gros problemes de communication ^^
Et la chanlate... qui connait la chanlate...?40PaulineJeudi 20 Novembre 2014 à 09:46Bon la chanlate, je l'accorde c'est plus meusien que lorrain...
En fait c'est la gouttière; enfin le demi tuyau qui longe le toit ^^
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