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    Je partais, guillerette, pour une pêche à la ligne

    Ignorant, ô pauvrette, quelle brochette de poissons

    Sublimement saugrenus et pas franchement dignes

    Du nom viendraient s'emplafonner sur mon petit hameçon.

     


    Moi qui rêvais brochets, truites, perches, barbeaux, goujons,

    Brêmes, sandres, vandoises, carpes, silures, tanches,

    Si j'avais pu prévoir quels étranges trublions

    Troubleraient mon étang de leur vain tourbillon, je s'rais restée étanche.

     


    Permettez qu'au retour de cette pêche en délire

    Je vous présente un peu les stupéfiantes prises

    Que je suis bien en peine de frire ou de bouillir

    Voyez de par vous-mêmes, comprenez ma surprise...!

     


    Mes proies n'ont ni écailles, ni nageoires, ni arêtes

    Et quoique frétillantes et fraîches comme gardons

    Je crains qu'elles ne soient pas de cette famille de bêtes

    Qui se mangent d'ordinaire à la sauce estragon.

     


    Celle qui ondule, là, luisante et un peu fourbe

    Prétend descendre droit de la pure ligne courbe

    Et celle qui se prélasse, au fond, dans la moiteur

    Serait, après aveux, la ligne d'équateur ;

     


    J'ai remarqué cette autre qui porte un numéro

    C'est qu'elle serait, dit-elle, une ligne de métro

    Elle s'est acoquinée avec une gueuse pas nette

    Qui clame haut et fort être ma ligne internet !

     


    « Et toi, là, à côté, à l'œil un peu lubrique ?

    - Hé, qu'est-ce que tu crois, je suis la ligne oblique ;

    Quand ma noble voisine, verticale, rectiligne

    Arrive en ligne directe du pays de droite ligne.

     


    Elle affronte d'ailleurs en un duel austère

    La perpendiculaire, nette, carrée, bien d'équerre ;

    Tandis qu'un peu plus loin, les lignes parallèles

    Se côtoient l'une l'autre avec un zèle fidèle. 

     


    Plus difficiles à vivre et plus embarrassantes

    Sont la ligne de mire et la ligne fuyante :

    La première se prend pour le nombril du monde

    Et il est impossible d'attraper la seconde.

     


    - Et cette fada, là-bas, qui marche à reculons ?

    - Vous ne devinez pas ? C'est la ligne d'horizon !

    Elle floute exprès ses traces, aidée de sa complice :

    Ligne de démarcation, capricieuse et duplice ! »

     


    Vous avez démêlé, bien sûr, cet écheveau

    Et lu ce qui déjà s'annonce entre mes lignes :

    A l'insu d' mon plein gré, on m'avait prise au mot

    Et j'écopais d'une bonne centaine de lignes.

     


    Mais laissez-moi finir, attendez les vedettes

    Qui arrivèrent enfin sur l' dessus du panier ;

    Nul omble chevalier, nulle autre noble tête

    A défaut de gratin, ma pêche fut gratinée !

     


    Je ferrai d'un seul coup un épatant trio

    Mené, en première ligne, par celle de mon stylo

    Qui me dit : « Ma petite, j'vais t'en boucher un coin,

    Tu ne me feras taire que si tu m' mets un point ! »

     


    Je n'étais pas remise que sur ces entrefaites

    Rapplique juste derrière une petite ligne fluette

    Qui s' présente, pleine d'aplomb, comme ma ligne de vie

    Et me lance : « Prends soin d' moi, c'est moi qu'ai l' plus de prix ! »

     


    J'en étais déjà coite et tombée sur les fesses

    Que pour nous achever, moi et ma bouillabaisse

    Se pointe, zigzaguant comme un fameux poivrot

    Une ligne plus torturée que feu Quasimodo

     


    Ne voulant pas savoir et m'attendant au pire

    Je lâche le moulinet, la canne, tente de m'enfuir,

    Mais elle claudique, la poisse, férocement véloce,

    Me rattrape, m'arrête, et me jette avec force :

     


    « Hé, ne me renie pas, je suis ta ligne de cœur

    Folle à lier mais solide : plus tordue qu' moi, tu meurs ! »

     

     

    Ah vrai, de cette pêche, je n' rentrais pas bredouille

    Même si certaines prises furent un peu casse-... ouïes ?

    Et si, rentrée chez moi, j'ai remisé mes lignes

    Je pense retourner, oui très vite, à la ligne

     


    Pour vous confier, mes pauvres, en deux ultimes strophes

    L'étendue absolue de cette catastrophe :

    De la pêche à la ligne, me voilà fin férue

    Et de l'appât des rimes, super-extra mordue

     


    Aussi je vous préviens, et même, je surligne :



    Gêneurs, ôtez-vous du chemin de mon stylo

    Le prochain qui m'empêche d'aligner trois mots

    Je le zigouille, couic, je le zappe, je l'esbigne

    Je le baffe, je le biffe... et c'est moi qui l'aligne.



    Texte paru dans "Graines d'éclats de rire" et dans "L'Allant-Bic".

     

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