• 2 février...
    Je me souviens.

    L'an dernier à la même époque
    Je gis sur un lit d'hôpital
    La ventre labouré
    La tête broyée par un étau de glace
    Les bras bleus d'être perforés
    Des fils plein les veines...

    Je me souviens.

    Moi qui n'ai jamais rien connu de plus grave
    Qu'une grippe, une bonne gastro ou quelques points de suture
    Je découvre brutalement la douleur physique
    La totale, l'implacable, la vraie
    Celle qui foudroie sur place
    Celle qui fait hurler comme une bête
    Celle qui anéantit tout sur son passage de feu
    Toute raison, toute pudeur, toute pensée
    Juste l'envie qu'elle finisse
    Fût-ce au prix de l'évanouissement
    Fût-ce, s'il le faut, en me tapant la tête contre les murs
    Jusqu'à ne plus sentir...

    Je croyais avoir le plus dur derrière moi
    Et je découvre que le pire est encore à venir
    Qu'une souffrance chasse l'autre
    Terrifiant ressac
    Mon corps 
    Devenu fou
    N'est plus qu'un étranger
    Une menace imprévisible
    Un ennemi intime
    Un dictateur sadique
    Qui me lie dans la peur panique
    Du prochain caprice qui va le traverser...

    Je me souviens.

    Des nuits d'insomnie. 
    Des cris dans les couloirs.
    De la peur d'appeler.
    Du décompte des heures qui me séparent
    Du droit de mendier mon prochain calmant.
    De la solitude... immense, désertique, accablante
    De la fatigue, de la lassitude, de l'abattement
    Des larmes qui vont et viennent
    Sans ordre, sans conscience, sans pourquoi
    De ma chair qui n'est plus qu'une plaie vive
    Et que je ne trouve plus comment habiter...

    Je me souviens...

    De la honteuse, affreuse, pesante dépendance...
    Me sentir sale.
    Ne pas pouvoir aller seule aux toilettes.
    Uriner dans un bassin qu'on me tient sous les reins.
    Macérer dans mes draps, en sueur,
    A cause de cette housse en caoutchouc
    Qui recouvre le matelas
    Et qu'on ne doit pas retirer
    "C'est plus facile à nettoyer"!...
    Etre lavée au gant
    Attendre qu'on daigne changer mon pansement
    Ou m'expliquer ce qui m'attend
    Et comment la situation peut évoluer...

    J'essaye d'en rire, toujours.
    De rester positive.
    Les soignants, les médecins apprécient.
    Je m'accroche à mon humour
    Comme une naufragée à son morceau d'épave.
    Mais combien de temps tiendrai-je ?
    Lequel d'entre eux soupçonne
    Le visage défait, les traits tirés
    Et les larmes refoulées derrière la porte 
    Une fois refermée ?

    Je me souviens, encore.

    Du défilé des infirmières.
    Presque jamais les mêmes.
    Equipe de jour, de nuit, de semaine, de week-end...
    A peine le temps d'apprivoiser un sourire, un visage
    Qu'ils sont déjà remplacés par d'autres.
    Celles dont le dévouement et la bonté
    Me chavirent le coeur, aujourd'hui encore.
    Et celles dont  l'usure, le stress, la sécheresse agacée
    Décuplent le lancinant cauchemar de mes nuits.

    Celle qui manipule mon enfant 
    Comme un paquet hurlant, sans coeur, sans âme
    Et moi qui dois rester LA
    Crucifiée à ce lit
    Sans pouvoir me lever et aller le serrer dans mes bras 
    Pour le consoler !
    Celle qui me refuse un verre d'eau
    Sous prétexte que j'ai déjà bu
    L'unique bouteille quotidienne
    A laquelle me donne droit mon forfait
    Et qu'il n'est pas encore minuit
    Pour avoir droit à la suivante !...
    Se souvient-elle, cette fonctionnaire consciencieuse
    Que je ne peux même pas me traîner jusqu'au lavabo ?
    Suis-je censée demander pardon d'avoir soif
    Jusqu'à ce que le calendrier lui redonne droit à la clémence ?!
    Et celle qui me reproche l'état de mes veines
    Parce qu'elle n'arrive pas, piquant et repiquant
    A y planter sa perfusion
    Qu'y puis-je si on m'a tant lardée d'aiguilles
    Que mes avant-bras sont bandés comme ceux d'une suicidée ?
    "Est-ce ainsi que les hommes vivent"
    Et traitent leurs semblables
    Les plus démunis ?...

    Piqués dans ce fatras
    Comme étoiles contre une voûte sombre
    Des bonheurs infimes, fragiles, inexplicables
    Trouées de lumière ténue dans un ciel d'apocalypse...
    La tendresse d'un jour neigeux filtrée par les voilages...
    La veilleuse d'infortune
    Bricolée pour baliser mes nuits
    De sa lueur rassurante...
    Les desserts nocturnes qu'une infirmière m'apporte,
    Prélevés sur son propre plateau repas,
    Parce que mes propres rations ne suffisent pas à me nourrir...
    Les paroles rassurantes... les gestes effectués avec douceur...
    Les fleurs inattendues, envoyées par des gens qui ne me connaissent même pas...
    L'insouciance des toutes jeunes stagiaires, qui demandent à me prendre en photo
    Et me mitraillent de flashs comme si j'étais une star de la Croisette !
    (J'en ris encore...)
    La présence, discrète mais chaleureuse, de la famille, des amis...
    Mon mari adorable, admirable, qui ne compte pas sa fatigue
    Court sans arrêt ici et là pour régler les formalités, faire les courses,
    Entretenir la maison, donner de mes nouvelles, apporter les affaires,
    ... Afin qu'à mon retour, je n'aie à m'occuper de rien.
    Le sourire de mon fils.
    Le bouleversant, inoubliable, indescriptible sourire de mon fils
    Qui me donne les forces que je ne trouve plus en moi-même
    Quand je me sens usée  jusqu'à la dernière fibre.
    Larmes de gratitude.
    Comment tiennent les malades 
    Qui n'ont pas autour d'eux de telles perles
    Pour rendre leur épreuve supportable ?

    Au sortir de cette traversée des ténèbres,
    Je me fais deux promesses :
    UN
    Je ne cracherai plus sur la médecine allopathique,
    Cette médecine dont je me suis tant moquée,
    Tellement méfiée et détournée...
    Parce que quand le corps supplicié crie grâce
    C'est tellement mieux d'avoir un anesthésiant ou un bon antalgique
    Plutôt qu'une tisane bio pour le soulager...!
    DEUX
    Tous les jours de ma vie,
    Je porterai dans mon coeur
    Les gens pour lesquels ce que j'ai vécu
    Est une réalité quotidienne
    Ceux pour qui le calvaire ne dure pas seulement
    Quelques interminables jours,
    Mais des mois, des années, parfois une vie entière
    Ceux pour qui les mots espoir, amélioration, rémission, guérison
    Ne signifient plus rien, ni aujourd'hui, ni demain.

    Aujourd'hui je vais bien, 
    Je suis heureuse, ma vie est revenue à l'endroit
    Mais je n'ai RIEN oublié.
    Ni ma visite des enfers, ni mes promesses, ni les joies 
    Minuscules, radieuses, incandescentes
    Que j'y ai rencontrées
    Le véritable prix des choses importantes. 
    Alors, voilà...
    Je ne peux pas aider tout le monde.
    Je ne peux pas empêcher ce qui est.
    Je peux juste tendre la main
    Témoigner
    Encourager
    Tenter le peu qui m'est possible
    En espérant toucher au bon endroit.

    Ce blog, la communauté
    Des "Passeurs d'espoirs"
    Sont nés de là. 
    Les racines dans la honte, dans le sang.

    Que ma cicatrice
    Me garde 
    De perdre jamais
    Cette mémoire cachée
    Qui est mon amie
    Et la vôtre.

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    Ptitsa








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  • Après l'avoir attendue longtemps
    Surprendre, le nez collé au carreau
    Le ballet de tutus graciles
    De la toute première neige !...


    (c) Ptitsa



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  • undefined                                             (c) Ptitsa


    Deux p'tits suisses
    Font quatre heureux :

    Moi qui goûte
    Cata et Strophe (nos minous)
    Qui auront le droit de lécher le fond du bol
    Et Maman qui partage son dessert avec nous !

    ELLE EST PAS BELLE, LA VIE ?!...
     

      


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  •  
    Plus je vieillis, plus je vois que la seule chose qui ne vieillit pas, ce sont les rêves.

                                Jean COCTEAU


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    Merci à Rainette (http://rainetteland.over-blog.fr) d'avoir été la 700e visiteuse de mon jardinet !  Une grenouille en anniversaire... Voilà qui prédit de beaux jours de soleil sur mes plates-bandes, non ?

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